Pékin, «une vraie Cité interdite!»

Publié le par Adriana Evangelizt



Pékin, «une vraie Cité interdite!»


par Frédéric Koller


Chen Yan déplore que le gouvernement maintienne l'opacité du système politique.

Chen Yan vit à Paris et dirige le service chinois de Radio France International (RFI). Il est l'auteur de l'Eveil de la Chine, ouvrage de référence sur le débat intellectuel en Chine, et l'un des fondateurs du Forum Europe-Chine. 

  Le Temps: Quel est l'état des libertés en Chine?

Chen Yan: Les libertés économiques, celles liées aux conditions matérielles, aux mœurs et à la consommation se sont considérablement améliorées et cela continue de s'assouplir. A l'inverse, on ne constate pas d'amélioration pour les libertés politiques et civiles. Si l'on compare avec les années 1980, c'est plutôt une dégradation. A l'époque, il y avait beaucoup de journaux, de revues intellectuelles, on pouvait parler de beaucoup de choses sur la société et la politique. Aujourd'hui, il y a très peu de journaux ou de revues qui relayent ces débats. Dans les années 1980, il y avait des intellectuels publics. Aujourd'hui, il y en a de moins en moins. Ils sont achetés par le gouvernement avec des postes prestigieux à l'université. Leur situation matérielle est meilleure, mais leur liberté de parole diminue. Ceux qui demeurent critiques sont réprimés, ils subissent des punitions avec des interdictions d'enseigner. Les intellectuels hors système risquent la prison. Ces dernières années, beaucoup d'avocats ont pris le relais en se faisant les porte-parole des droits individuels, mais la répression est très forte.

- Quel a été l'impact des JO sur les libertés?

- L'espoir d'un changement était légitime. Au début, on pensait que le gouvernement utiliserait les JO pour en faire un facteur d'ouverture, pour offrir plus de liberté à la presse, aux individus. Mais c'était à condition que cela se fasse en faveur de son maintien au pouvoir. Ces derniers temps, avec les crises au Tibet et de la flamme olympique, le gouvernement comprend que ce n'est pas si simple et que cela peut entraîner des conséquences néfastes, d'où le raidissement actuel du régime. Pékin est devenu une vraie Cité interdite! La ville devient très difficile d'accès pour les commerçants, les plaignants sont chassés, les conditions d'obtention des visas sont beaucoup plus strictes. Il y a de la peur, beaucoup de mécontentements et de conflits. Voyez ce fait divers de Weng'an, au Guizhou, qui a rapidement dégénéré en émeute mobilisant 10 000 personnes. Personne ne pense que c'est un incident isolé. Cela peut se produire partout, à tout moment.

- Quelles sont les principales violations des droits de l'homme?

- Le plus grave est le monopole du pouvoir, la censure de la presse et d'Internet. C'est la clé de l'ouverture du système. Le pouvoir préserve l'opacité du système. Ensuite, c'est la répression radicale de toute forme de contestation politique. Il n'y a plus de dissidents, ou ils sont en prison, ou à l'étranger. Liu Xiaobo ou Yu Jie sont en résidences surveillées. Toute contestation organisée est écrasée sans merci. Enfin, il y a les abus de pouvoir à tous les échelons du pays.

- Dans le débat intellectuel, on parle de la nouvelle droite, de la nouvelle gauche, du néoautoritarisme, des néo-conservateurs... Quel courant est aujourd'hui dominant?

- Tous ces courants existent et remontent aux années 1980. Le débat est confiné aux universitaires, dans des revues spécialisées. Il n'y a plus de débat public d'ampleur comme dans les années 1980. Les revues intellectuelles influentes ont disparu. Désormais le débat s'est déplacé sur Internet, sur des sites spécialisés. Mais les thèmes les plus animés sont le retour des traditions, la relation de la Chine au monde. Des sujets sans grands risques, ils ne remettent pas en question le gouvernement. On pourrait dire que le courant principal est le nationalisme ou le néoconfucianisme. Mais ce n'est pas la réalité. L'espace est donné à ces débats-là, mais c'est un espace biaisé.

- Internet demeure-t-il l'instrument d'une possible ouverture?

- Je le crois. C'est là que se joue le combat entre la liberté et la censure. Je suis plutôt optimiste. Aujourd'hui, c'est grâce à Internet qu'il existe encore un débat en Chine. Ce n'est pas un espace isolé, il est de plus en plus relayé par la presse écrite. C'est un outil pour faire pression sur le gouvernement pour plus de transparence. C'est mon espoir.

- Existe-t-il une société civile en Chine?

- Oui. Mais dans un état embryonnaire. Elle n'est pas structurée. Elle est fragile car sans garantie légale et sans légitimité officielle. Mais l'espace public s'élargit de jour en jour. C'est un acquis. Il y a une prise de conscience de la nécessité de la démocratie en Chine. Ce n'est pas forcément apparent, mais même aux échelons locaux les gens s'en rendent compte. Ce sera très dur à supprimer.

- Y aura-t-il une détente après les JO?

- Cela dépendra de la tournure de ces Jeux. Si cela ne se passe pas bien, le pouvoir sera encore plus crispé et le nationalisme anti-étranger encore plus virulent. Mais c'est une arme à double tranchant. Si cela se passe bien, on peut s'attendre à de petits assouplissements. Mais ce n'est pas sûr du tout.

Sources
Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Esclavage

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