Océans : bientôt, le point de non-retour

Publié le par Adriana Evangelizt




Océans : bientôt, le point de non-retour



A la fois régulateurs du climat et pompes à CO2, les océans sont indispensables à toute vie sur Terre. Ils nourrissent également plus de la moitié de l'humanité et fournissent d'énormes quantités de matières premières et d'énergies. Pourtant, par la pollution, la surpêche ou encore les émissions de gaz à effet de serre, l'Homme a déjà profondément dégradé 40% des mers du globe et la tendance n'est pas prête de s'inverser.


Les mers et les océans, qui couvrent pourtant 71% de la surface terrestre, restent encore des territoires très mal connus. Seuls 10% de la cartographie de l’océan profond ont été répertoriés et on a encore exploré à ce jour que 2% du plancher océanique. Selon les estimations des scientifiques, ces écosystèmes abriteraient 90% de la biomasse et 80% de la biodiversité du monde - dont seuls 5% sont connus à ce jour (274.000 espèces marines recensées).


Outre leur importance écologique, les océans nourrissent 3,5 milliards d’êtres humains. La pêche et l’aquaculture emploient 35 millions de personnes dans le monde et les produits de la mer constituent au moins la moitié des apports en minéraux et en protéines animales des populations d’Afrique et d’Asie du sud. Les territoires marins fournissent également support et ressources pour les activités humaines : transport, tourisme, minéraux (brome, magnésium…) et énergie (gaz, pétrole, houle, marées, courants…). Ainsi, 30% de la production mondiale de pétrole est extraite du fond des océans.


En moins d'un siècle, les trafics maritimes ont explosé : de 550 millions de tonnes de marchandises transportées en 1950 à près de 6,8 milliards en 2004. 90% du trafic commercial international transitent par mer, la Grèce et le Japon étant au premier rang des puissances maritimes commerciales. Le tourisme maritime représentait quant à lui 3% des échanges commerciaux mondiaux en 2005.


Les deux tiers de l’humanité sont installés sur la partie côtière des océans, là où se concentrent 80 à 90% des ressources marines ; de fait, l'impact des aménagements urbains et industriels y est particulièrement lourd. Les espaces marins sont d'ailleurs très pollués : selon une étude conduite par S. Halpern pour le Census of Marine Life (1), environ 40% des mers et océans sont profondément dégradés et 4% seulement sont exempts de pollutions ou autres dommages. Pourtant, seule une part infime (moins de 1%) de la surface des océans est située dans une zone protégée.

 

Fonction climatique des océans


L’océan est un gigantesque régulateur des températures entre les pôles et l’équateur. Il absorbe la chaleur lorsque la température de l’atmosphère est supérieure à la sienne et la rediffuse en réchauffant l’air par conduction, ou par évaporation puis condensation. Ainsi, la chaleur est transférée dans le temps et l’espace : la chaleur accumulée l’été est retransmise en hiver, et les régions de haute latitude reçoivent la chaleur stockée par les eaux de surface des régions tropicales. Par ces mécanismes, l’océan redistribue de 25 à 50% de l’énergie que la planète reçoit du soleil et serait responsable pour moitié du climat de la terre.


En absorbant la chaleur atmosphérique, les eaux du globe subissent une dilatation thermique et prennent plus de volume. C'est la cause principale de l’élévation moyenne du niveau de la mer. Ce phénomène est renforcé actuellement par le changement climatique. Selon les estimations les plus pessimistes du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) (2), le niveau de la mer pourrait augmenter jusqu'à 1,2 m d'ici la fin du siècle (3). Si cette tendance n'est pas inversée, une telle montée des eaux serait catastrophique pour des pays en bordure de mer, en particulier les plus pauvres tel que le Bangladesh. Leurs territoires inondés, plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde devront être déplacées et deviendront autant de réfugiés écologiques.


Les courants marins


Les transferts de températures d'un océan à l'autre sont réalisés par les courants marins. Ils sont de deux catégories: les courants de surface, créés par les vents réguliers (courant du Labrador, du Cap Horn, de Kuroshio, des Caraïbes, Gulf Stream, dérive nord-atlantique, etc.) et ceux de la circulation océanique profonde (4). Outre leur fonction thermique, la plupart de ces courants jouent un rôle vital pour la faune et flore marine en alimentant en minéraux le phytoplancton et en brassant l'oxygène des différentes couches d'eau des océans.


En raison notamment de la fonte des glaces de l'Arctique, l'apport d'eau douce dans les océans augmente actuellement. Ce phénomène perturbe la circulation des courants marins. D’après Hervé Mercier, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de physique des océans de Plouzané, le Gulf Stream pourrait ainsi ralentir de 25% d'ici 2100 (5). Une tel changement serait suivi d'un refroidissement modéré du climat (5 à 6°c en moyenne) en Europe et sur la côte Est des Etats-Unis, ainsi que d'un affaiblissement de la vie marine. (6)


Océans et dioxyde de carbone


Les océans absorbent, par le biais de leurs couches d'eau de surface, en moyenne 30% du carbone atmosphérique chaque année - un peu moins lors des périodes El Niño. A lui tout seul, l'océan austral (ou océan glacial antarctique) est responsable de 30 à 50% de cette captation de gaz carbonique (7). Le CO2 est dissout dans l'eau puis assimilé par le phytoplancton et les plantes aquatiques ou incorporé sous forme de calcaire dans les coquilles et carapaces du zooplancton, des crustacés et des mollusques. A la mort de ces organismes, le calcaire formé se dépose sur le fond marin avant de se transformer, très lentement, en roche sédimentaire. Grâce à ces phénomènes biologiques et géologiques, les océans constituent les principaux puits de carbone de la Terre. Cependant, ceux-ci sont aujourd'hui affectés par l'activité humaine et leur capacité d'assimilation du CO2 s'amoindrit.


Les océans, en absorbant des quantités toujours plus grandes de gaz carbonique, deviennent plus acides. Ce changement de pH perturbe la formation de coquilles et de carapaces par les microorganismes marins (8). Par ailleurs, le changement climatique entraîne indirectement une augmentation de la vitesse des vents, et donc un brassage plus important des eaux marines. Les eaux de surface se mélangent aux eaux profondes riches en CO2 et perdent de leur pouvoir d'absorption du gaz carbonique. Selon les dernières études de Nicolas Metzl et de son équipe au laboratoire LOCEAN, l'efficacité de puit de carbone de l'Atlantique nord aurait ainsi diminué de moitié entre 1996 et 2005. Celle de l'océan Austral serait également 10 fois inférieur aux précédentes estimations : de 0,05 gigatonne de carbone/an (GtC/an) au lieu de 0,5 GtC/an (9). Enfin, le réchauffement des eaux de surface peut conduire à une diminution de l’activité du phytoplancton et pourrait provoquer un relargage de CO2. Le gaz carbonique, en effet, est moins soluble en eaux chaudes.


Mers empoisonnées


Depuis la révolution industrielle, les activités humaines ont fait payé un lourd tribut écologique aux mers et aux océans : stocks de poisson surexploités, récifs coralliens menacés, destructions des habitats etc. (10) Environ 6 millions de tonnes de pétrole sont introduites chaque année dans les océans, au cours de l'extraction offshore et du transport dans les pétroliers. Les marées noires accidentelles ne représentent, en réalité, qu'une infime partie de la pollution des océans, bien moins importante par exemple que celle liée au "dégazage" des réservoirs des pétroliers. Mais c'est des continents que vient la majeure partie de la pollution océanique. Selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), 90% des substances et déchets retrouvés en mer sont d'origine tellurique (11). Charriés par les fleuves, le vent (pour 20 à 30% des polluants) ou directement versés en mer, ils sont d’origines agricoles, industrielles, domestiques, liés au transport, etc.


Contrôlée par la Convention de Stockholm, la pollution aux polluants organiques persistants (POP) a diminué depuis deux décennies. Elle a ainsi été réduite de moitié en mer Baltique mais représente encore un gros problème pour de nombreux littoraux d'Afrique, d'Asie de l'Est ou dans l'Océan Indien, où les pays sont tributaires de l'agriculture et de la chimie. Dans un registre un peu différent, depuis 1960, le nombre de zones marines mortes a doublé. Cette évolution est liée à un apport excessif de nutriments provenant en particulier des engrais minéraux de l'agriculture. D'ici 2030, le PNUE estime que l'apport en azote dans les océans devrait être 14% supérieur à son niveau des années 1990. Autre forme de pollution des mers, celle par les eaux usées atteint des niveaux records dans les pays émergents et en développement. En Amérique Latine, en Asie de l'Est ou encore en Afrique Centrale de l'Est, au moins 80% des eaux usées seraient rejetées sans traitement.


Insidieuse et durable, la pollution par les sacs et autres déchets plastiques inquiète également les scientifiques. Richard Thompson et son équipe de biologie marine à l'université de Plymouth, ont révélé que les sédiments des littoraux, les bas-fonds des zones côtières et le sable des plages sont pollués par des particules microscopiques de plastique, incluant du nylon, du polyéthylène et du polyester (12). Une telle contamination peut persister plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'années. Les biologistes ont trouvé d'importantes traces de ces particules dans les balanes et les puces de mer, ce qui implique que ces éléments se retrouvent déjà dans la chaîne alimentaire. Reste à mesurer à présent combien ceux-ci peuvent être toxiques pour les écosystèmes et la santé humaine.

Sources :
GoodPlanet

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Mers Oceans Fleuves

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