Un nouveau paradigme pour la sécurité humaine

Publié le par Adriana Evangelizt

Un nouveau paradigme pour la sécurité humaine


par Gregory D. Forster


traduit de World Watch

 


Il est facile d’assimiler la « sécurité nationale » ou la « sécurité mondiale » à la défense militaire contre les états hostiles et le terrorisme, mais, selon l’un des experts militaires américains les plus importants, cette vision est beaucoup trop étroite - et pourrait nous mener à la catastrophe si nous ne la changeons pas.


Quelles que soient les raisons pour lesquelles les historiens se souviendront de l’année 2004 - les guerres politiques américaines, le génocide au Darfour, la débâcle stratégique en Irak - elle pourrait se révéler une année charnière en matière de sécurité environnementale , l’année ou l’espace intellectuel, opérationnel et politique où les conditions écologiques et les considérations sécuritaires se rencontrent.

On peut également espérer qu’il s’agira de l’année de la prise de conscience, tardive, de la part des politiques et du public américain, de la nécessité d’une approche totalement nouvelle de la sécurité et des transformations stratégiques fondamentales indispensables pour y arriver.

En ce qui concerne ce sujet, le moment phare de cette année a été, pour deux raisons contradictoires, la remise du Prix Nobel de la paix à la militante écologiste kenyane Wangari Maathai. D’un côté, en élargissant la définition du mot paix, ce prix donne une nouvelle légitimité à ceux qui adoptent une conception non conventionnelle de la sécurité, particulièrement en ce qui concerne l’environnement. « C’est la première fois que l’environnement est pris en considération dans le Prix Nobel de la paix, nous avons ajouté une nouvelle dimension au concept de paix » a déclaré le président Ole Danbolt Mjoes en annonçant la remise du prix. « La paix sur la terre dépend de notre capacité à préserver notre environnement. »


D’un autre côté, les critiques du prix, dont l’expression de dénigrement caractérisait et réaffirmait la mainmise abrutissante du courant de pensée traditionaliste sur la conduite des relations internationales, étaient tout aussi dignes d’intérêt. Espen Barth Eide, ancien adjoint au ministre des Affaires étrangères de Norvège a fait remarquer : « L’une des fonctions du comité du Prix Nobel est de définir les priorités actuelles en matière de sécurité et de paix. S’il s’en écarte trop, il risque de saper la fonction principale du Prix Nobel de la paix ; on va finir par dire que tout ce qui est bon va dans le sens de la paix. » Les traditionalistes du monde entier, dont la majorité des politiques au pouvoir aux Etats-Unis, ont sans aucun doute accueilli chaleureusement cette indignation bien légitime à leurs yeux et se sont résolus à perpétuer les vérités communément admises du passé, celles qui ont jusqu’à aujourd’hui fait de la paix un concept si évasif et illusoire.

En plus du Prix Nobel de la Paix, deux autres événements à dix mois d’intervalle ont aidé à définir ce qui pourrait se révéler être l’Année de la Sécurité Environnementale. Le premier a été un article qui n’est pas passé inaperçu, « Le cauchemar climatique du Pentagone », publié dans le numéro du 9 février 2004 du magazine Fortune. Il décrit le rapport que deux hommes spécialisés dans les prévisions - Peter Schwartz et Doug Randall de Global Business Network - avaient préparé récemment pour le Département de la défense sur les implications d’un changement climatique abrupt sur la sécurité nationale. L’article a généré une vague d’excitation et de spéculations intenses, mais de courte durée, pour savoir si le Pentagone prenait les changements climatiques au sérieux et, si oui, pourquoi et dans quelle mesure.

L’autre événement est survenu à la fin de l’année avec la publication du rapport final du Groupe de personnalités de haut-niveau sur les menaces, les défis et le changement (High-Level Panel on Threats, Challenges and Change) composé de 16 membres internationalement reconnus nommés en novembre 2003 par le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, pour examiner les principales menaces et défis auxquels le monde devrait faire face dans le vaste domaine de la paix et de la sécurité.

Ces deux faits particuliers, potentiellement suffisamment significatifs pris séparément, doivent être considérés dans le contexte plus large englobant plusieurs autres événements survenus au cours de l’année.

Pour commencer, Sir David King, conseiller scientifique en chef du Premier ministre britannique Tony Blair, a suscité l’étonnement et la désapprobation avec un article controversé publié le 9 janvier 2004 dans le magazine Science. King a cité le changement climatique comme « le problème le plus grave auquel nous avons à faire face aujourd’hui - plus grave même que la menace terroriste » et a accusé le gouvernement américain de « ne pas réussir à relever le défi du réchauffement du globe ». Dans un discours devant l’American Association for the Advancement of Science, il a ajouté : « Le changement climatique est réel. Des millions de personnes vont être de plus en plus exposées à la faim, à la sécheresse, aux inondations et aux maladies telles que la malaria. L’inaction motivée par la mise en doute de preuves scientifiques [une référence à peine voilée à la mauvaise volonté de l’administration Bush] n’est plus défendable. »

En mars, l’ancien responsable des inspections sur les armes en Irak Hans Blix a jeté de l’huile sur le feu dans une interview avec David Frost sur la chaîne de télévision BBC : « Je crois que nous surestimons encore le danger de la menace terroriste. Il y a d’autres choses d’égale importance, voire supérieure, comme les risques environnementaux. » Cette déclaration venait en renforcer une autre que Blix avait faite une année auparavant : « Pour moi, la question de l’environnement est plus inquiétante que celle de la guerre et de la paix... Je suis plus inquiet à propos du réchauffement de la planète qu’à propos des principaux conflits militaires. »

En mai, le film catastrophe à succès Le Jour d’Après, produit par la 20th Century Fox et mettant en scène les conséquences mondiales cataclysmiques d’un changement climatique accéléré, est sorti dans les salles de cinéma américaines. Certains, comme Sir David King ou l’ancien vice-président Al Gore ont approuvé le film, pas pour sa compression du temps totalement irréaliste, bien sûr, ni de son exagération des effets catastrophiques, mais pour son potentiel à réveiller et à sensibiliser le public à la possibilité et à la gravité d’un changement climatique abrupt. D’autres ont férocement critiqué le film pour avoir traité de façon futile un problème aussi vital. Gregg Easterbrook, rédacteur en chef de The New Republic, a attaqué « ce film catastrophe de série B » pour sa « stupidité » scientifique : « En présentant le réchauffement de la planète de manière aussi ridiculement irréaliste, ce film ne réussira qu’à convaincre le public du fait que le changement climatique n’est qu’une vaste blague, alors qu’en réalité les preuves scientifiques de la nécessité d’une réforme des émissions de gaz à effet de serre se font plus pressantes chaque jour. »

Dans un important discours prononcé à Londres en septembre, Tony Blair, face aux critiques continues de l’opposition, a décrit le changement de climat comme : « Le plus grand défi environnemental mondial... Un défi aux impacts d’une si grande portée et aux effets destructeurs si irréversibles, qu’il peut radicalement altérer l’existence humaine. » « A part une minorité décroissante de sceptiques », a-t-il déclaré, « un consensus scientifique mondial en ce qui concerne ce problème a presque été atteint. »

Puis en octobre la Division de l’éco-information, de l’évaluation de l’environnement et de l’alerte rapide (DEWA) du Programme des Nations Unies pour le Développement a publié un nouveau rapport qui prête à réfléchir, Understanding Environment, Conflict, and Cooperation. Il est le résultat des délibérations de participants à une nouvelle initiative visant à soutenir les activités, les politiques et les actions environnementales et à promouvoir au niveau international la prévention des conflits, la paix et la coopération. Le sujet du rapport n’est pas nouveau, mais la question qu’il induit - « Est-ce que l’on peut raviver ce qui a été, pendant une grande partie des années 1990, un débat agité sur relation et l’interaction entre l’environnement et la sécurité ? » -, est, elle, nouvelle. Depuis les négociations de Kyoto de 1997, ce débat est resté au point mort, pour le plus grand malheur de la politique américaine et du discours stratégique en général.

REMETTRE À L’ORDRE DU JOUR LA SÉCURITÉ ENVIRONNEMENTALE

Même si les événements relatés plus haut ne s’étaient pas produits au cours de l’année, les conclusions et les recommandations du Groupe de personnalités de haut-niveau sur les menaces, les défis et le changement des Nations Unies et l’introduction dans l’inconscient collectif des problèmes de sécurité nationale posés par un changement de climat abrupt, constitueraient un encouragement important pour les politiciens, les experts et les citoyens dans leur ensemble afin qu’ils accordent une attention plus sérieuse et immédiate à la sécurité environnementale.

Cet article sera imprimé avant la publication du rapport final du Groupe de personnalités de haut-niveau sur les menaces, les défis et le changement ; mais les travaux préliminaires de la United Nations & Global Security Initiative menés par la Fondation pour les Nations Unies, en coopération avec l’Environmental Change & Security Project du centre Woodrow Wilson, accessibles au public, préfigurent de la manière dont le Groupe va probablement envisager les problèmes environnementaux. Ce passage du résumé d’une discussion présenté au Groupe nous en donne une idée générale :

Les changements environnementaux peuvent menacer la sécurité mondiale, nationale et individuelle. Les problèmes environnementaux sont : la dégradation des terres, les changements climatiques, la qualité et la quantité des ressources en eau, la gestion et distribution des ressources naturelles (tel que le pétrole, les ressources forestières et les minéraux). Ces facteurs peuvent être des causes directes de conflit ou peuvent être liés à des conflits en exacerbant d’autres causes comme la pauvreté, les migrations, la prolifération des armes et les maladies contagieuses. Les experts prédisent par exemple que les changements climatiques provoqueront d’énormes changements physiques et sociaux, comme des pénuries d’eau, des catastrophes naturelles, une baisse de la production agricole, une plus grande portée et une plus grande incidence des maladies contagieuses et un changement des migrations humaines ; ces changements pourraient avoir un impact significatif sur la sécurité internationale en entraînant une concurrence pour la domination des ressources, déstabilisant les Etats les plus faibles et provoquant des crises humanitaires. Cependant, une bonne gestion des problèmes environnementaux et des ressources naturelles peut également aider à instaurer la confiance et contribuer à la paix par le biais de la coopération là où il y a des tensions.

Si l’on prend également en compte les mots prononcés par le Secrétaire Général Kofi Annan pour annoncer le Groupe de personnalités de haut-niveau sur les menaces, les défis et le changement devant l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre 2003, il semble clair que le Groupe va approuver le lien entre environnement et sécurité et reconnaître que la dégradation de l’environnement, la raréfaction des ressources et les changements climatiques sont des menaces ou des défis bien réels et qui demandent une réponse collective :

Chacun d’entre nous sait qu’il faut faire face à de nouvelles menaces - ou peut-être d’anciennes menaces sous des formes nouvelles et dangereuses : de nouvelles formes de terrorisme et la prolifération d’armes de destruction massive. Mais si certains considèrent ces menaces comme indubitablement les principaux dangers pour la paix et la sécurité mondiale, d’autres sont plus inquiets de la prolifération d’armes légères employées dans les guerres civiles ou par les menaces soit disant moins dangereuses telles que la persistance d’une pauvreté extrême, la différence des revenus entre et au sein même des sociétés, la propagation des maladies contagieuses ou encore le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement.

L’article de Fortune de février 2004 était un résumé impartial et révélateur d’une étude commanditée par le Pentagone qui, bien que non confidentielle, n’aurait normalement pas reçu beaucoup - voire même pas du tout - d’attention publique. Or l’article a eu deux conséquences considérables. Premièrement, à en juger par le volume et l’intensité des commentaires qui l’ont suivi, il a clairement élevé les attentes - positives et négatives - sur le contenu et les ramifications du rapport du Pentagone. Est-ce que l’armée s’intéresse vraiment au réchauffement climatique ? Pourquoi ? Suffisamment pour faire quelque chose ? Dans quel but, et avec quelles conséquences (surtout sur la mission principale des militaires) ?

Deuxièmement, l’article - et le rapport qui en était le sujet - a placé la barre plus haut dans le débat sur le réchauffement de la planète. En faisant référence à un changement de climat brutal, il a accentué une thèse émergeante insistant sur l’urgence de ce qui est autrement considéré (peut-être par un grand nombre de personnes) comme un phénomène à long terme, graduel, qui, même s’il est réel, peut être laissé sans regrets politiques ou économiques aux soins des générations futures. En mettant en relation un changement climatique abrupt et la sécurité nationale, l’article et le rapport donnent une importance accrue - et absolue - au sujet. La sécurité nationale est, après tout, la politique publique par excellence - le totem qui prend le dessus sur tout le reste. Selon l’opinion publique, la sécurité nationale à pour enjeux le danger et la survie. Donc, si l’on peut démontrer que quelque problème a des implications pour la sécurité (quelle qu’en soit la définition), ce problème a peut-être les mêmes enjeux ; et peut-être nécessite-t-il également une attention soutenue et un sérieux engagement financier.

Pour les gens familiers des modes de communication normaux des militaires américains, la transmission du rapport Schwartz-Randall au magazine Fortune était suffisamment inhabituelle pour entraîner une série de spéculations : l’homme qui l’avait commandité, Andrew W. Marshall - le directeur des évaluations du Pentagone pendant les trente dernières années -, avait fort bien pu avoir en tête de signaler des inquiétudes allant bien au-delà du message scientifique du rapport : premièrement que l’institution pour laquelle il travaille est particulièrement close et résistante au changement ; deuxièmement, que le Pentagone est particulièrement fermé à des problèmes aussi ésotérique et idéologiquement encombrants que l’environnement ; troisièmement, que dans la mesure où le rapport avait été préparé par des théoriciens imaginatifs, il pouvait plus facilement être réfuté comme n’étant que pure spéculation par des bureaucrates pragmatiques persuadés d’être fermement ancrés dans la réalité ; quatrièmement, bien qu’ayant travaillé très longtemps au Pentagone, qu’il (Marshall) ne disposait que de peu d’influence pour que les militaires prennent des décisions basées sur les analyses de son bureau ; cinquièmement, que de telles révélations publiques pouvaient provoquer une prise de conscience (sinon un changement) interne au Pentagone en réponse à des pressions externes provenant de parties moins fermées telles que le Congrès et les médias ; sixièmement, que la force de mouvement la plus puissante dans ce domaine est peut-être le monde des affaires qui a à la fois le plus à gagner et le plus à perdre des changements climatiques - surtout quand le régime politique en place opte pour une inaction dogmatique par déférence à la main cosmique invisible du marché.

L’importance de cet épisode, de même que sa pertinence pour l’avenir, proviennent autant du message que de la méthode même du rapport Schwartz-Randall. Le message implicite est qu’il y a pire qu’un changement climatique : la possibilité réaliste d’un changement de climat brutal. Pour ceux qui n’en ont pas entendu parler, l’article explique qu’un changement de climat brutal n’est pas juste une accélération du réchauffement de la planète, mais un événement totalement différent déclenché par le changement climatique que nous connaissons actuellement. En bref, le réchauffement climatique actuel pourrait entraîner un arrêt des courants océaniques qui maintiennent un climat tempéré en Europe - le réchauffement de la planète entraînant ainsi ironiquement un climat beaucoup plus froid dans certaines régions et une accélération généralisée des effets catastrophiques communément associés aux changements climatiques « normaux » : inondations, sécheresses, tempêtes, raz-de-marée, incendies, épidémies, disparitions d’espèces, famines, et bien plus encore. Le message explicite est que l’enchaînement de tels effets pourrait alors en plus entraîner des conséquences pour la sécurité nationale - plus particulièrement des confrontations militaires entre les Etats pour l’accès à des ressources en nourriture, en eau et en énergie de plus en plus rares ou ce que les auteurs décrivent comme un « monde d’Etats en guerre. »

Paradoxalement, décrire ce qui relève de la sécurité nationale comme essentiel et impliquant les forces armées est peut-être nécessaire pour attirer l’attention des prétendus experts sur le sujet, mais cela trahit également l’étroitesse du paradigme de sécurité communément accepté auquel la plupart d’entre nous ont adhéré sans y penser. Cet état de choses est renforcé par la méthodologie du rapport Schwartz-Randall, qui ne cherche pas à prédire quand et comment un changement brutal de climat et les effets qui en découlent se produiront, mais seulement à présenter un scénario plausible de ce qui pourrait arriver quand cela se produira, si cela se produit. Dans les mots des auteurs : « Cet événement pourrait s’étaler sur des décennies, des siècles ou des millénaires et se produire cette année ou dans de nombreuses années. » En dépit de cet avertissement, le thème du changement climatique brutal vu comme un problème de sécurité nationale pourrait être suffisamment révélateur et alarmant pour que, combiné aux autres forces motivantes de l’année écoulée, il puisse élever la conscience publique concernant la sécurité environnementale à un autre niveau.

REPENSER LA SÉCURITÉ, RÉÉVALUER LA MENACE

Quel que soit le nombre de personnes qui reconnaissent maintenant que les conditions environnementales provoquent ou contribuent aux situations politiques dangereuses relevant d’une définition traditionnelle de la sécurité - les conflits violents, le désordre civil, l’instabilité, la chute des régimes ou des Etats -, il est largement dépassé par le nombre de ceux qui nient le lien entre l’environnement et la sécurité ou qui le considèrent comme hors de propos ou sans pertinence.

Ces opposants viennent de deux camps différents mais proches : les conservateurs idéologiques et les traditionalistes du courant de pensée majoritaire qui dominent le secteur de la sécurité nationale. Cette distinction est fondamentale dans la mesure où ces derniers - les technocrates à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement - ont le dernier mot lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui relève de la sécurité et donc ce qui est autorisé à être partie intégrante du débat sécuritaire.

Les opposants traitent l’environnement comme un problème purement idéologique, et le changement climatique comme le plus idéologique de tous - en conséquence aussi facile à écarter que le féminisme, le droit des homosexuels ou n’importe quel autre reflet de la tendance « politiquement correct ». Et ce malgré le fait que dans un sens purement ontologique, l’environnement est inhérent à toute stratégie, particulièrement en ce qui concerne le changement climatique. L’environnement est partout. Il ne connaît pas de frontières physiques ou autres. Dans sa portée, ses effets et ses conséquences, il est vraiment global. Et, quand on le comprend pleinement, il remet en question toutes nos notions dominantes de souveraineté, d’intégrité territoriale et même d’agression et d’intervention. Néanmoins, de la même manière que pour un marteau tout ressemble à un clou, tout semble idéologique pour un idéologue - et doit être accepté ou rejeté non pas de façon rationnelle, mais en fonction d’un dogme interne.

L’un des principaux problèmes divisant ceux qui débattent de la relation entre environnement et sécurité est de savoir s’il faut définir la sécurité au sens large ou dans un sens plus étroit. Les opposants choisissent systématiquement la définition la plus étroite - assimilant la sécurité à la défense, tout comme ils assimilent le pouvoir à la force. Pour eux, la sécurité a une signification axiomatique provenant de ses racines historiques. Ironiquement, sur ce point particulier, ces opposants sont encouragés par un contingent fantôme d’écologistes libéraux du même avis, qui pensent qu’il est dangereux de lier sécurité et environnement dans la mesure ou cela risque inévitablement de militariser ce dernier et d’abandonner des ressources nécessaires à la protection de l’environnement à une autorité militaire déjà boursouflée et dépensière. Dans leur peur de militariser l’environnement, ils risquent de pactiser avec ceux qui veulent maintenir une position stratégique militarisée.

Pour contrebalancer cette conception étroite de la sécurité il faut commencer par reconnaître qu’il s’agit, à la base, d’un phénomène qui commence - et prend fin - avec l’individu. Etre en sécurité signifie littéralement être à l’abri - du danger, des menaces et des intimidations, des doutes et des peurs, du besoin. Dans l’ordre des besoins humains, la sécurité est l’un des instincts les plus basiques - seulement dépassé par les besoins physiologiques les plus élémentaires comme l’eau, la nourriture, un toit et autres, tous étant dépendants d’un environnement en bonne santé. De tels besoins élémentaires sont des droits naturels dont tous les êtres humains doivent pouvoir jouir et que les gouvernements, comme nous l’avons appris des Pères Fondateurs de la nation américaine, sont tenus de faire respecter.

La sécurité individuelle ou humaine est donc la condition sine qua non à la sécurité nationale et pas seulement quelque chose de secondaire. En conséquence, assurer la sécurité s’impose comme le premier objectif stratégique qu’une société démocratique telle que la nôtre devrait chercher à atteindre. Prise dans ce sens, la sécurité est quelque chose de beaucoup plus large que la défense. Elle comprend la totalité des conditions énumérées dans le credo sécuritaire américain : le préambule à la Constitution - pas seulement la défense commune, mais de manière aussi importante, l’unité nationale (une union plus parfaite), la justice, la stabilité du pays, le bien-être général et la liberté. C’est seulement lorsque toutes ces conditions sont réunies dans des proportions adéquates que l’on atteint une vraie sécurité. Quand seulement l’une de ces conditions - par exemple la liberté ou le bien-être général - est sacrifiée ou compromise pour une autre - par exemple la défense - il en résulte un certain degré d’insécurité. Ainsi, tout est finalement lié à la sécurité ; tout est lié à la sécurité nationale.

Que la sécurité soit définie au sens large ou au sens strict, tout ce qui la met en péril représente une menace ; et tout ce qui représente une menace est crucial dans la mesure où, dans le protocole idéal des programmes de sécurité nationale, les menaces sont le prétendu point de départ à partir duquel sont déterminés les moyens et les programmes à mettre en œuvre. (Bien sûr, dans la réalité, ces moyens et ces programmes acquièrent leur propre vie bureaucratique et il est ainsi plus probable qu’ils déterminent la menace plutôt que l’inverse.)

Les opposants acceptent généralement comme menaces légitimes uniquement les parties ou les phénomènes qui, au-delà de ce que l’on perçoit comme leur potentiel de nuisance, sont considérés capable de mauvaises intentions ou comme le produit de mauvaises intentions. L’intentionnalité est l’élément légitimant clé. Le terrorisme rentre dans cette catégorie, de même que traditionnellement les Etats hostiles. Les armes de destruction massive semblent également rentrer dans cette catégorie dans la mesure où, bien qu’elles soient en elles-mêmes des entités inertes, elles peuvent se révéler très dangereuses entre les mains humaines. Les changements climatiques et les autres formes de dégradations environnementales, par contre, ne sont généralement pas acceptés comme des menaces crédibles, quels que soient les dégâts et les morts qu’ils entraînent. Au lieu de cela, ils sont implicitement laissés de côté et considérés comme des événements purement naturels aux proportions métaphysiques, ce qui les place hors de portée de tout contrôle humain et donc en dehors des limites de la prévention ou des mesures punitives.

Une évaluation de la menace aussi limitée est tout à fait caractéristique de la politique dominante actuelle. En voici quelques exemples représentatifs :

Dans un texte de 34 pages sur la stratégie de sécurité nationale de la Maison Blanche de 2002, le mot environnement n’est mentionné que dans un court paragraphe portant sur les négociations commerciales des Etats-Unis.
Dans son « rapport sur la menace mondiale » de février 2004, le directeur de la CIA George Tenet consacre cinq pages au terrorisme ainsi qu’à l’Irak et à la prolifération des armes, trois paragraphes aux narcotiques dans le monde, un paragraphe aux tendances démographiques ainsi qu’aux maladies contagieuses et à la crise alimentaire humanitaire, mais n’aborde pas du tout les problèmes environnementaux.


La très médiatique commission de prévision Hart-Rudman, dont les membres vantaient leur prescience pour avoir entrevu la possibilité d’attaques terroristes contre les Etats-Unis, comme celle du 11 septembre, ne traite les défis environnementaux du 21ème siècle que de façon superficielle dans son rapport initial de septembre 1999. Affirmant de façon anodine que la pollution peut être - et implicitement qu’elle sera - contrée par la croissance économique et le développement de technologies correctives, la commission a écarté le sujet avec la déclaration (oserons-nous dire idéologique) suivante : « Il reste d’importants désaccords sur plusieurs problèmes environnementaux importants. De nombreuses personnes sont persuadées que le réchauffement climatique produira des traumatismes sociaux conséquents dans les 25 prochaines années, mais il n’y a pas encore de preuves scientifiques allant dans le sens d’une telle conclusion. Il n’est pas non plus certain que les changements de climat récents soient dus à des activités anthropiques plutôt qu’à des fluctuations naturelles. » 47


A l’opposé, le rapport Global trends 2015 du National Intelligence Council, publié en décembre 2000 (presque une année avant les événements du 11 septembre), a reconnu que les ressources naturelles et l’environnement étaient les plus importants « moteurs et tendances qui façonneront le monde de 2015 ». En mettant plus particulièrement l’accent sur la nourriture, l’eau et le développement de la sécurité énergétique, les experts qui ont collaboré au rapport ont reconnu la persistance et l’augmentation des problèmes environnementaux à l’échelle mondiale pour les années à venir, un consensus grandissant sur la nécessité de résoudre ces problèmes et la perspective que « le réchauffement de la planète représentera un défi pour la communauté internationale ».

De telles affirmations, caractéristiques des politiciens et autres mandarins de la sécurité semblent également représentatives de l’opinion publique. Une étude récente du Conseil de Chicago sur les relations internationales, Global View 2004, portant sur l’opinion publique américaine en ce qui concerne les problèmes internationaux, se montre particulièrement révélatrice. Si on leur demande d’identifier les menaces les plus dangereuses contre les intérêts américains, les personnes interrogées ne classent le réchauffement climatique qu’en septième position (37% des réponses), loin derrière le terrorisme international (75%), les armes chimiques ou biologiques (66%), les pays hostiles devenant des puissances nucléaires (64%), l’immigration (58%) et autres. Un autre sondage Gallup récent (février 2004) a révélé que les problèmes environnementaux ne figuraient même pas dans la liste des 11 menaces potentielles contre les intérêts vitaux américains - le terrorisme international et la propagation des armes de destruction massive dépassant largement toutes les autres menaces possibles.

Le fait que les problèmes environnementaux inquiètentsi peu le public reflète bien à quel point notre pensée en matière de sécurité est limitée et peu stratégique. Peut-être que si nous faisions plus attention aux effets des conditions et des événements particuliers, plutôt qu’à la notion abstraite et floue d’intentionnalité implicitement enracinée dans notre conception dominante de la menace, nous pourrions voir le monde différemment - et de manière plus lucide.

Comparons par exemple le nombre de victimes du terrorisme, menace hautement crédible, et celui causé par les catastrophes naturelles, menace beaucoup plus douteuse. Depuis 1968, il y a eu dans le monde 19 114 incidents terroristes, qui ont fait au total 23 961 morts et 62 502 blessés. Bien que ces chiffres soient troublants, ils semblent insignifiants en comparaison des pertes causées par les catastrophes naturelles.

Au cours du siècle dernier, le nombre de morts (en moyenne, par année) dues aux sécheresses, aux famines, aux inondations, aux tempêtes, aux températures extrêmes, aux raz-de-marée et aux incendies s’élève 243 577. Ainsi, même si on laisse de côté les tremblements de terre, les éruptions volcaniques et les épidémies et que l’on ne compte pas les blessés et les autres effets néfastes (comme par exemple le fait de ne plus avoir de logis), il y a trois fois plus de personnes qui meurent chaque année en moyenne de catastrophes naturelles pouvant être liées aux changements climatiques ou exacerbées par ces derniers que de personnes tuées ou blessées en 37 ans d’incidents terroristes. Et si une période d’un siècle semble trop longue pour être représentative, il faut savoir que depuis 1990, les catastrophes précédemment citées ont fait plus de 207 000 victimes en Asie du Sud seulement, plus de 23 000 en Amérique Centrale et au Mexique, et des dizaines de milliers d’autres dans le reste du monde.

Ces chiffres sont alarmants dans leur exactitude empirique, encore plus si l’on prend en compte le fait que les pertes économiques moyennes annuelles provoquées par ces catastrophes étaient de l’ordre de 660 milliards de dollars dans les années 1990. Cela nous amène au dernier argument que les idéologues conservateurs invoquent pour discréditer les inquiétudes à propos de l’environnement et du climat - la nécessité de s’appuyer sur des faits scientifiques plus sûrs, plus avérés - et à l’argument que les mandarins de la sécurité nationale utilisent pour nier ou pour ignorer la relation entre sécurité et environnement - le manque de preuves sans équivoque que les conditions environnementales créent l’insécurité et sont à l’origine de violences.

Ces deux arguments ne sont que des excuses à la négation et à l’inaction ; et sont particulièrement hypocrites. Ceux qui demandent des preuves concluantes du fait que les conditions environnementales sont à l’origine de violences fixent un précédent totalement inaccessible qui leur permet de continuer à ne s’occuper que, selon leur préférence, des symptômes visibles, immédiats et profitables au niveau politique. Le terrorisme en est le parfait exemple - singulièrement symptomatique, jamais la cause sauf à un certain niveau dérivé avancé où la violence entraîne plus de violence.

Ceux qui invoquent la science comme seule base solide pour la politique publique - en tout cas pour la politique climatique - prétendent n’être motivés que par une quête rigoureuse d’une vérité objective (apolitique, sans idéologie). Cependant ils acceptent ou rejettent effrontément les faits, les qualifiant ou non de « scientifiques », selon qu’ils soutiennent ou contredisent leur idéologie préétablie. Le président Bush, par exemple, a déclaré plusieurs fois que la politique climatique devait être basée sur des faits scientifiques avérés (que l’on ne possède pas encore). Quand on lui a par contre demandé son avis sur les cellules souches embryonnaires durant son second débat présidentiel, l’année dernière, il a déclaré que la science était importante mais devait être contrebalancée par l’éthique. Donc, quand il s’agit de la recherche sur les cellules souches - ou peut être de l’avortement, de l’homosexualité ou de la peine de mort - l’éthique prend le dessus sur une science peu coopérative ; mais pas quand il s’agit des changements climatiques ou de l’environnement en général. Finalement, peut-être que la terre est vraiment plate.

L’attitude de nombreuses personnes qui demandent plus de preuves scientifiques des changements climatiques est encore plus intéressante dans le cadre de cette discussion. Ils sont paradoxalement tout à fait prêts à accepter sans poser de questions les affirmations sans aucun fondement scientifique des militaires - particulièrement en ce qui concerne la dégradation de l’efficacité militaire prétendument entraînée par le soi-disant « empiètement » des restrictions environnementales (par exemple la protection des espèces) sur les installations militaires. Ce malgré le fait que le General Accounting Office ait fortement critiqué les autorités militaires pour ne pas avoir démontré dans quelle mesure cet empiètement avait diminué leur efficacité.

Le sénateur James Inhofe (sénateur républicain de l’Oklahoma) et le Comité politique républicain au Sénat sont particulièrement représentatifs de cette hypocrisie. Inhofe a déclaré : « Le réchauffement planétaire catastrophique n’est qu’une fausse alerte » - « une théorie alarmiste qui n’est pas basée sur une science objective » - alors même qu’il avait déclaré que « les problèmes d’efficacité... sont causés par un labyrinthe toujours plus grand de procédures et de régulations environnementales dans lesquelles nous perdons nos capacités à préparer nos enfants patriotes et nos combattants à la guerre. » De même, le Comité politique républicain au Sénat a déclaré : « Ce sur quoi les scientifiques sont d’accord [en ce qui concerne les changements climatiques] n’est pas d’un grand intérêt au niveau politique, et les problèmes intéressants au niveau politique ne suscitent pas vraiment l’unanimité scientifique », tout en affirmant : « Les lois environnementales et les poursuites qui entravent ou empêchent même parfois l’entraînement et les tests militaires sont parmi [les exemples d’empiètement] les plus contraignants - nuisant donc à l’efficacité (... ) les preuves de leurs impacts négatifs sont nombreuses. »

A LA RECHERCHE D’UNE RÉPONSE STRATÉGIQUE

Les contradictions qui précèdent suggèrent, entre autre, que le paradigme dominant en matière de sécurité, en accordant la primauté au secteur militaire et à l’usage de la force, nous tient intellectuellement en otage depuis longtemps. Qui plus est, en l’absence d’une pensée stratégique compensatoire sur laquelle compter, l’idéologie se précipite inévitablement pour remplir le vide intellectuel, comme dans le cas de la sécurité environnementale, condamnant toute rationalité et nous rendant aveugle face au futur. Le seul remède à cette situation, le seul espoir de voir l’environnement, en particulier les changements climatiques et toutes les menaces et défis non conventionnels pris aux sérieux comme de graves problèmes de sécurité, serait une transformation stratégique fondamentale.

Il est bien sûr évident que les menaces stratégiques appellent des réponses stratégiques. Mais il faut bien comprendre l’importance de cela, puisque dans l’époque médiatique où nous vivons, il n’y a quasiment aucun événement - même obscur ou lointain - qui n’ait de conséquences stratégiques. Essayons de comprendre un peu mieux pourquoi il est si intrinsèquement important d’agir de façon stratégique. Premièrement, le gouvernement a une obligation morale de voir à long terme, de prendre en compte tous les tenants et les aboutissants, d’anticiper et de prévoir, de comprendre les conséquences cachées et secondaires de l’action ou de l’inaction, de reconnaître et de compter sur le fait que tout est étroitement lié, même les choses qui paraissent insignifiantes et sans conséquences.

Deuxièmement, une pensée stratégique permet de prévenir les crises. Quand une crise se produit, que se soit un incident terroriste ou une catastrophe naturelle, c’est que la pensée stratégique a échoué - entraînant une prise de décision artificiellement forcée et un détournement des ressources de leur but premier. La prévention des crises est donc, au même titre que la sécurité, l’un des buts stratégiques primordiaux d’une société démocratique.

Troisièmement, une pensé stratégique donne les bases intellectuelles pour le commandement stratégique attendu d’une superpuissance et pour le consensus large et durable nécessaire pour pousser une société diverse et pluraliste à faire cause commune face à l’incertitude, à la complexité et à l’ambiguïté.

Quatre impératifs stratégiques devraient nous guider dans le futur. Appelons le premier gestion ciblée de la causalité - concentrer notre réflexion et nos actions sur l’identification et l’éradication des causes sous-jacentes d’insécurité, guérissant ainsi la maladie au lieu d’en traiter les symptômes. La dégradation environnementale et les changements climatiques sont des causes beaucoup plus profondes que le terrorisme, surtout si nous reconnaissons que les conditions sociales, politiques, économiques et militaires auxquelles nous préférons faire face en utilisant la violence peuvent masquer des mécontentements et des troubles attribuables à une qualité de vie et à un environnement dégradé.

Le second impératif stratégique, la réponse par anticipation institutionnalisée, implique que nous institutionnalisions les moyens d’action préventive - autrement dit, que nous leur donnions une permanence et une légitimité. Cela augmenterait nos chances de faire face aux situations et aux événements tant qu’ils sont encore gérables, avant qu’ils ne deviennent hors de contrôle et ne nécessitent une réponse par la force. Les exemples peuvent aller des efforts pour développer des sources d’énergie et des technologies alternatives de l’ampleur du projet Manhattan à un plus grand partage des renseignements inter-juridictionnels, en passant par le développement d’infrastructures pouvant résister aux catastrophes dans les pays en développement.

Le troisième impératif stratégique est l’adaptation appropriée à la situation - c’est-à-dire faire face aux situations et aux événements en fonction de leurs propres particularités géographiques, culturelles et politiques plutôt que d’imposer nos capacités et notre approche à toutes les situations comme on a l’habitude de le faire, courant ainsi à l’échec. Dans un sens purement institutionnel, une telle adaptation pourrait par exemple prendre la forme de nouveaux régimes de sécurité collective multilatéraux, des programmes préparés aux problèmes environnementaux et disposant de moyens suffisant dans chacune des régions du monde.

Le quatrième impératif stratégique est l’intégration opérationnelle complète - arriver à une meilleure intégration organisationnelle, doctrinaire, procédurière et technologique entre les parties militaires et civiles, gouvernementales et non gouvernementales, nationales et internationales. Dans un sens conceptuel, cela peut prendre la forme d’une architecture stratégique supérieure pour unifier les activités de cinq piliers organisationnels et culturels - développement durable, énergie durable, commerce durable, consommation durable et sécurité durable. Dans un sens purement structurel, la prise de conscience qu’une réorganisation est indispensable pour engendrer les changements nécessaires pourrait entraîner des mesures telles que l’ajout d’un secrétaire à l’énergie et aux affaires environnementales au sein du National Security Council, la création d’un sous-secrétaire général des Nations Unies aux affaires environnementales (ou à la sécurité environnementale) ou la transformation du Programme des Nations Unies pour l’Environnement en une organisation dotée de plus de moyens opérationnels et de pouvoirs. Dans tous les cas, de telles mesures devront être accompagnées d’une plus grande transparence et d’un plus grand multilatéralisme.

Intéressons-nous finalement au secteur militaire. D’un côté, l’action militaire représente l’option la moins stratégique pour faire face aux problèmes de sécurité environnementale (et d’ailleurs pour faire face à peu près à tous les autres problèmes). Cela reste vrai tant que l’armée continue à être utilisée comme elle l’est et comme elle l’a toujours été - autrement dit, pour la guerre. D’un autre côté, l’armée est tellement centrale dans notre conception dominante de la sécurité qu’une vraie transformation stratégique ne peut s’effectuer que si elle inclut (ou si elle est précédée par) une transformation en profondeur du secteur militaire - réaliser ce qui n’a été jusqu’à présent qu’une rhétorique poussive de la part du Pentagone.

Lorsque les militaires se sont montrés sérieux jusqu’à présent à propos des problèmes environnementaux - allant même jusqu’à prétendre être d’excellents gardiens de la nature - c’est entièrement le reflet d’une politique orientée distinctement vers le génie et la gestion et destinée principalement à l’assainissement des installations. La sécurité environnementale - le domaine des opérations et des renseignements plutôt que celui du génie et de la logistique - est restée largement étrangère à la culture et à l’identité militaire. On peut prendre pour exemple les efforts des autorités militaires pendant le mandat du président Clinton pour être exemptées des contraintes du protocole de Kyoto ou leurs tentatives infatigables (même si elles n’ont pas été totalement fructueuses) pendant le mandat du président Bush pour être exemptées de tout un arsenal de lois sur l’environnement prétendument nuisibles à l’efficacité de l’armée.

Deux considérations majeures doivent guider la transformation du secteur militaire. Il nous faut premièrement réaliser qu’il est plus souhaitable d’avoir une armée qui ne soit pas seulement efficace militairement - un instrument de force servant l’Etat - mais qui soit stratégiquement efficace - un instrument de pouvoir au service de la société dans son ensemble, voire de l’humanité. La seconde considération primordiale est que l’armée ne doit pas être une machine de guerre (pas plus qu’elle ne doit être perçue comme telle) mais comme un projet indépendant et autosuffisant capable de se projeter sur de longues distances pour de longues périodes afin de gérer efficacement et à tous les niveaux toutes sortes de cas d’urgence complexes.

De telles considérations, prises à cœur, produiraient idéalement une armée complètement remaniée ; organisée, équipée et entraînée principalement pour la construction de la nation, le maintien de la paix, l’aide humanitaire, l’assistance en cas de catastrophe et seulement rarement pour la guerre. Une telle armée posséderait non seulement les moyens de remplir les impératifs stratégiques énumérés plus haut ; mais elle donnerait également l’image d’une force vraiment destinée au maintien de la paix plutôt qu’à l’idée tenace et illogique que le seul moyen d’atteindre la paix est de faire la guerre.

Si nous voulons penser et agir de manière stratégique, ce que nous devons faire, nous ferions bien de nous souvenir de la déclaration du Gayanashagowa, la grande loi de la paix de la confédération des six nations Iroquoises : « Dans toutes nos délibérations nous devons prendre en compte les impacts de nos décisions sur les sept prochaines générations. » Et en appliquant ce précepte aux problèmes auxquels nous faisons face, nous ferions bien également de relever le défi posé récemment par l’ancien président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Dans une interview il y a quelques mois, on lui a demandé ce qu’il pensait de la doctrine américaine d’action préventive. Ce à quoi il a répondu :

Ceux qui parlent tout le temps d’être un exemple pour le monde feraient bien de prendre leurs responsabilités. Plutôt que de développer des doctrines stratégiques de guerre préventive - comme nous l’avons vu en Irak où l’on n’a trouvé à ce jour aucune arme de destruction massive - agissons dans les domaines où nous avons des renseignements fiables : pour les changements climatiques et d’autres problèmes comme celui de 2 milliards d’individus qui n’ont pas accès à l’eau potable. Parlons plutôt de prendre des mesures préventives contre le réchauffement de la planète ou la crise imminente de l’accès à l’eau.

En effet, voilà des préceptes selon lesquelles la seule superpuissance mondiale autoproclamée devrait agir.

Sources : L'Etat de la Planète

Posté par Adriana Evangelizt

 

Publié dans USA Danger

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