Guernica : Un tableau à l'histoire mouvementée

Publié le par Adriana Evangelizt

Guernica


Un tableau à l'histoire mouvementée

 

Par Baudouin Eschapasse




C'est sans doute l'oeuvre la plus célèbre de l'artiste le plus célèbre du XXe siècle. Symbole du martyre de la ville basque, elle n'a regagné l'Espagne, suivant le désir du peintre, qu'après la mort de Franco.

Tout commence par une commande, passée par le gouvernement républicain espagnol, d'une grande fresque murale destinée au pavillon de l'Espagne pour l'Exposition internationale de Paris (dédiée au progrès et à la paix), qui doit se tenir au printemps 1937...

Contacté fin 1936, Pablo Picasso, qui vit en France depuis une trentaine d'années, élabore plusieurs ébauches au début de janvier 1937. La première s'intitule Songe et mensonge de Franco. Ouvertement caricaturale, elle fait l'objet d'une gravure. Mais ce « brouillon » ne convainc qu'à moitié son auteur, et il renonce vite à la transposer sur le châssis de près de 8 mètres de long sur 3,5 mètres de haut qu'il a dressé dans son atelier, le célèbre Grenier des Grands-Augustins à Paris, dans l'hôtel de Savoie. Cet endroit magique inspira Balzac, qui y situe son Chef-d'oeuvre inconnu, fut la résidence de Jean-Louis Barrault, de Mouloudji, l'atelier de Picasso jusqu'en 1955, et sert aujourd'hui de trame au dernier roman d'Alain Casabona et de Patrick Renaudot, Le Grenier aux merveilles.

Picasso n'a jamais aimé les oeuvres de commande ; cela le bloque et, une fois encore, il renâcle à satisfaire cette demande. Trois mois s'écoulent avant que l'artiste ne parvienne à retrouver l'inspiration. Le bombardement du 26 avril sur la petite ville basque de Guernica constitue pour lui un électrochoc. Cette attaque, commise par les escadrilles de la sinistre légion Condor, considérée aujourd'hui comme le premier raid de l'histoire de l'aviation moderne à avoir recours à des bombes incendiaires contre des civils, fait, avance-t-on alors, plus de 1 600 tués et plus de 800 blessés (pour une population de 7 000 habitants). L'émotion est considérable dans l'opinion internationale. Le 30 avril, l'artiste se décide et trace, au pinceau et d'une traite, une représentation en noir et blanc du drame. La toile est à la mesure de la tragédie.

Picasso remplit l'espace de figures cubistes évoquant des visages en proie aux flammes. Les humains désarticulés par les explosions encadrent une silhouette de cheval et une autre de taureau, les deux animaux symboliques de son pays natal (lire page 68). Une série de photos prises par sa compagne, Dora Maar, donne une idée de cette première version de Guernica. Elle n'est pas si éloignée de la version finale.

L'artiste ne se contente pourtant pas de ce premier jet et va retravailler cette peinture pendant deux mois. Il y ajoute des motifs qu'il avait préparés pour des crucifixions (certaines datant de 1934) et des arlequins en pleurs, figures camouflées en forme de losange et qui jouent un rôle quasi subliminal dans cette oeuvre déjà si dense. Il reprend aussi des détails de croquis réalisés lors de corridas, avant la guerre. Ce qui confortera la dimension sacrificielle du massacre.

Plusieurs critiques décèleront, dans cette oeuvre, des intentions ésotériques, comme cette femme tenant une lampe dans l'embrasure d'une porte, le visage chauve, le regard vide, qui ferait écho à la tête de Lucifer, dissimulée plus haut (Lucifer signifiant étymologiquement « le porteur de lumière »), ou ce guerrier étendu à terre, tenant une épée brisée en deux, évoquerait le mythe de Parsifal. D'autres ont cru déceler des codes secrets : le cheval blessé par une lance serait ainsi une référence au début du nom du peintre, pica. Ces symboles ayant tantôt une signification religieuse, voire mystique (la pointe de cette même lance en forme de losange évoquant le supplice du Christ) ; tantôt laïque : au centre de la composition, une représentation discrète de Hitler se fait, elle-même, transpercée. A les en croire, ces intentions feraient écho à un passage du journal intime de l'artiste à cette époque : « Non, la peinture n'est pas faite pour décorer des appartements ; c'est une arme offensive et défensive contre l'ennemi. » Le choeur des femmes, placé sur le côté droit de la toile, comme un choeur antique en pleurs, témoigne de son intemporalité. La mère portant son enfant mort, au pied du taureau, renvoie aux pietà et l'homme, au bord opposé du tableau, levant les bras au ciel, est un hommage au Tres de mayo de Goya. La souffrance est éternelle.

La lecture de cette peinture est, sans conteste, l'une des plus complexes qui soit. Non seulement parce que Picasso a dissimulé de nombreux motifs en des endroits inattendus (tel ce crâne humain caché à l'intérieur du corps et des jambes du cheval blessé) mais aussi et surtout parce que son auteur s'est toujours refusé à en interpréter le symbolisme.

Achevé début juin, Guernica est la pièce maîtresse du pavillon de l'Espagne de l'Exposition universelle. Réduire cette oeuvre à un support de propagande comme ont tenté de le faire les détracteurs du régime républicain serait néanmoins une erreur. Cette toile en noir et blanc forme assurément l'un des chefs-d'oeuvre de l'art moderne.

Trois tapisseries furent réalisées à partir de l'original. L'une est l'oeuvre de Jacqueline et André Dürrbach, en 1955, en collaboration avec Picasso lui-même. Conservée au musée d'Unterlinden de Colmar, elle fut présentée pour la première fois au Grenier des Grands-Augustins, en 2004, siège du Comité national pour l'éducation artistique. La deuxième se trouve au musée municipal de Tokyo, la troisième à New York à l'extérieur la salle du Conseil de sécurité des Nations unies - elle sera d'ailleurs masquée par un voile et des drapeaux le 5 février 2003 pendant que le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, plaide pour la guerre en Irak.

Commandé par le gouvernement républicain (et, à ce titre, propriété du gouvernement espagnol), Guernica a d'abord été conservé au musée d'Art moderne de New York, Picasso s'opposant à ce que le tableau soit exposé en Espagne du vivant de Franco - le dictateur décédera en 1975, deux ans après le peintre. Le tableau, lui, ne sera rapporté à Madrid qu'en 1981 et installé au musée du Prado. Il est actuellement exposé au Centro de Arte Reina Sofia.

Les Basques le revendiquent, arguant du fait qu'il représente l'un des épisodes les plus importants de l'histoire de leur province. Ils espéraient pouvoir le présenter au musée Guggenheim de Bilbao au printemps mais, pour des raisons de fragilité de l'oeuvre, cela ne semblerait pas devoir se concrétiser.

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Animaux en danger

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