Dom Pérignon

Publié le par Adriana Evangelizt

Dom Pérignon

Par Claude Quétel

 



Portrait d'un(e) inconnu(e) célèbre dont la postérité a retenu le nom... sans vraiment savoir de qui il s'agit !


Le nom de dom Pérignon évoque aujourd'hui la célèbre bouteille, le champagne des grands palaces et des paris solennels entre amis. La particule dom (dominus) indique bien une origine monastique mais nombreux sont ceux qui croient que c'est là une légende de plus, celle du bon moine et de son secret. La liste serait infinie des procédés, des recettes, des remèdes que la tradition attribue à des religieux du temps passé. Et pourtant Pierre Pérignon a bien existé. Il est né en 1638 à Sainte-Menehould dans une famille relativement aisée de petits titulaires d'offices. Elève sans histoire des pères jésuites, il entre par vocation dans les ordres, à dix-neuf ans, « afin de vaquer plus soigneusement au salut de son âme pour la rendre un jour à Dieu son créateur ». Après un an passé au couvent bénédictin de Sainte-Vanne à Verdun, le novice devient dom Petrus Pérignon le 3 juillet 1658. Dix ans durant, il se familiarise avec la vie bénédictine qui allie les exercices spirituels au travail manuel. En 1668, il rejoint le monastère de Saint-Pierre d'Hautvillers, dans le diocèse de Reims (l'ancienne abbatiale existe toujours, à 6 km au nord d'Epernay). Dom Pérignon y remplit les fonctions de procureur, c'est-à-dire qu'il est en charge des intérêts économiques de la communauté alors en pleine restauration. Il devient donc le grand intendant de l'abbaye, prenant, en vrai bénédictin, le travail à bras-le-corps. Et d'abord celui du vignoble qu'exploite en propre la communauté depuis le Moyen Age. Les vins de Champagne, ceux d'Ay notamment, sont alors très réputés et concurrencent le vin de Bourgogne jusque sur la table des rois et des grands seigneurs. Le plus souvent rouges et non mousseux, ils n'ont rien à voir avec notre champagne actuel. On ne saurait donc être procureur de l'abbaye sans être son cellérier.

La règle de Saint-Benoît, précise et très complète, stipule que le responsable du cellier doit être « sage, d'un esprit mûr et discret, sobre et non grand mangeur, ni altier, ni turbulent, ni injurieux, ni lent, ni prodigue mais craignant Dieu, exerçant envers toute la communauté le devoir et l'office du Père ». S'occuper du vin ne demande rien moins que tout cela et, de la vigne et du vin, l'oenologue en rode de bure va s'occuper pendant quarante-sept ans. Lorsqu'il arrive en 1678, tout est à faire. Les vignes sont en mauvais état. Aucune étape de la vinification n'est satisfaisante à commencer par la question de la « prise de mousse » (du fait de leur faible teneur en alcool, les vins de champagne conservés en tonneau avaient tendance à devenir pétillants durant les mois d'été). Est-ce un défaut ou une qualité ? Et dans le second cas, comment la maîtriser ? On a souvent parlé du « secret de dom Pérignon » qui aurait, comme d'un coup de baguette magique, inventé notre champagne. Rien de tout cela. Son secret, n'est rien d'autre que celui du laboureur et de ses enfants de La Fontaine : « Travaillez, prenez de la peine... » Partant de ce que, avant lui, les viticulteurs champenois avaient déjà constaté, mais ayant devant lui le temps et la patience, vertus cardinales de l'Eglise, dom Pérignon révise et améliore tous les stades de la difficile fabrication du vin de champagne. Très probablement maître de chais en personne au milieu de ses celliers, il met au point le mariage des raisins (l'assemblage) et surtout la maîtrise de la seconde fermentation (la « prise de mousse ») et des soutirages successifs (l'élimination de la lie), du collage (la clarification, au blanc d'oeuf ou à la colle de poisson, de la lie qui reste en suspension). Dom Pérignon préside aussi à un meilleur choix des bouteilles (la « champenoise » apparaît au début du XVIIIe siècle), des bouchons (de liège plutôt que de bois), du ficelage (longtemps de chanvre, en attendant le muselet en fil de fer au XIXe siècle). L'abbé Pluche dans Le Spectacle de la nature, best-seller du XVIIIe siècle, rend hommage à dom Pérignon qui a su si bien « gouverner le champagne » et permis d'en assurer une conservation beaucoup plus longue qu'autrefois. Les écrits de l'époque mettent déjà en garde contre la consommation des mauvais mousseux. C'est le signe que le vin de champagne est déjà réputé. Dom Pérignon s'éteint paisiblement à 77 ans, le 14 septembre 1715, treize jours après du Roi-Soleil. L'homme n'a pas démérité du Grand Siècle.



Claude Quétel, historien, ancien directeur de recherche au CNRS. Il exerce aujourd'hui une double activité d'historien consultant et de directeur de collection aux éditions Larousse.

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt


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