Les maîtres du temps

Publié le par Adriana Evangelizt

Les maîtres du temps

Par Anne Logeay et Françoise Labalette




Etablir le calendrier est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seuls astronomes... Depuis l'Antiquité, c'est le domaine réservé des religieux, qui tentent de soutenir cette gageure : faire coïncider l'année solaire et l'année calendaire. Celtes et chrétiens ont chacun leur méthode.


Le calendrier gaulois

En novembre 1897, à Verpoix, sur la commune de Coligny (à la limite de l'Ain et du Jura), à proximité de la voie romaine Lugdunum-Vesontio (Lyon-Besançon), un cultivateur exhume plus de 500 fragments de bronze, enfouis à quelque 30 cm de profondeur. Il ignore qu'il vient d'effectuer une découverte majeure pour l'archéologie celtique. Une fois assemblés, ces fragments permettent de reconstituer une statue quasi complète du dieu Mars et, surtout, une table calendaire. Certes, celle-ci est incomplète, mais, ajoutée à des fragments analogues trouvés en 1802 au lac d'Ancre, sur la commune de Villards-d'Héria (Jura), elle témoigne de l'existence et de la nature d'un calendrier utilisé par les Gaulois et probablement aussi par les autres Celtes.

Cette table calendaire, que nous pouvons voir aujourd'hui au Musée gallo-romain de Lyon, mesure 150 x 90 cm. Elle est constituée de 150 fragments environ ; 120 d'entre eux sont gravés, les autres forment un cadre de 5 cm de largeur. Sa fourchette de datation est fort large : faut-il considérer qu'elle appartient à la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère ou, comme les chercheurs inclinent à le penser, au IIe siècle de notre ère, soit plus de deux cents ans après la promulgation par Rome du calendrier julien ? En tout cas, ce calendrier religieux, vraisemblablement placé dans un temple (comme l'indique la proximité de la statue avec laquelle il a été retrouvé), est un objet gallo-romain, gravé en lettres et chiffres romains, mais contenant des mots gaulois.

Le calendrier de Coligny constitue encore à ce jour la plus longue inscription connue en langue gauloise, une langue que l'on sait lire, mais que l'on comprend mal. Nous disposons donc d'une table incomplète, de datation incertaine, dans une langue peu compréhensible, et qui correspond aux jours et aux mois de cinq années dont nul ne connaît le millésime. Autant dire que ce document unique pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Et tout d'abord : pourquoi un calendrier gravé dans le bronze, quand on sait combien les druides rechignaient à l'écriture, considérée par eux comme une forme de savoir dégradée, et donc réservée, par exemple, à des livres de comptes ?

Le premier mois de l'année est samonios, et le dernier, cantlos. Samon, qui signifie en gaulois « récapitulation de l'été », correspond sans doute à notre mois de novembre. A six mois de période sombre, hivernale, succède un épisode « clair » qui s'étend du début du mois de giamonos (l'équivalent de mai) au mois de cantlos, fin octobre. César explique dans la Guerre des Gaules que les Gaulois mesurent la durée « non pas d'après le nombre des jours, mais d'après celui des nuits ; les anniversaires de naissance, les débuts de mois et d'années, sont comptés en faisant commencer la journée avec la nuit ». Chaque mois est suivi de la mention mat (il compte 30 jours) ou anmat (29 jours), qui pourrait signifier « complet » et « incomplet », à moins que ce ne soit « faste » ou « néfaste ». Le mois est divisé en deux quinzaines par le mot atenoux, composé de ate « re », et noux « nouveau » : un renouveau ou un « retour de la période sombre », qui pourrait marquer le passage d'une période de pleine lune à celle de la nouvelle lune ; la seconde quinzaine peut être incomplète, auquel cas le mois est accompagné de l'inscription anmat, à l'exception du neuvième, equos, seul à être accompagné de cette mention alors qu'il dure 30 jours. Le dernier jour de la seconde quinzaine est alors remplacé par l'expression divertomv, « sans valeur » ? ou « passer au mois suivant » ? Cette division entre quinzaines « claire » et « obscure » se retrouve aussi en Inde.

Selon Pline l'Ancien, « le sixième jour de la lune marque le début des mois, des années et des siècles, qui durent 30 ans, jour choisi parce que la lune est déjà dans toute sa force sans être à mi-cours ». En fait, plutôt que lunaire, le calendrier gaulois est luni-solaire ; un mois lunaire réel représente 29,5 305 jours (le calendrier alterne les mois de 29 et 30 jours, avec, au milieu, un mois de 32 jours), et une année lunaire compte 355 jours. Le calendrier compte donc 12 mois répétés cinq fois, et 2 mois intercalaires (inscrits sur deux lignes), destinés à rattraper le retard par rapport au calendrier solaire. Le premier se trouve au tout début de la période de 5 ans représentée par la plaque, avant le mois de samonios, et le deuxième après une période de deux ans et demi : c'est le mois de ciallos, d'une durée de 30 jours, placé entre cutios (avril) et giamonos (mai).

La plaque compte 1 836 jours, soit 5 années lunaires, ce que l'on appelle un lustre. Mais 5 lunaisons représentent en fait 1 830,89 jours : le lustre gaulois est-il trop long ? Un érudit écossais, M. Mac Neill, a remarqué que la table ne comporte que 3 mois nommés equos - avec la mention amt réservée, en apparence, aux mois de moins de 30 jours ; il s'est donc demandé si les mois equos, qui semblent absents la deuxième et la quatrième année du calendrier, ne comportaient pas en fait 28 jours. On aboutirait ainsi à un lustre de 1 831 jours, très proche des 62 lunaisons de 1 830,89 jours. Pline parle d'un siècle de 30 ans ; or, 30 années solaires contiennent 371 lunaisons, et un siècle en contient 372 (6 lustres de 62 chacun). Si, tous les 30 ans, on commence le premier lustre du nouveau siècle par samon sans mois intercalaire, le calendrier gaulois reste en phase avec le soleil. Mais ce ne sont que des hypothèses...

Quoi qu'il en soit, à la fin de la plaque, il est impossible de revenir de manière suivie au début, comme nous en avons l'habitude avec notre calendrier annuel. C'est donc que nous possédons seulement un élément d'un calendrier beaucoup plus vaste, et non l'ensemble. En fait, 252 plaques supplémentaires seraient nécessaires pour pouvoir recommencer la lecture depuis le début, ce qui porterait l'ensemble à... 1 072 ans, une demi-ère zodiacale ! Si surprenante que cette hypothèse puisse paraître, les spécialistes concluent à l'établissement d'un calendrier de cette extraordinaire ampleur, particulièrement précis, et pour lequel aucune correction n'est nécessaire.

On sait que, lors de leur formation, les druides devaient apprendre et mémoriser plus de 400 000 vers, signe certain de la transmission d'un savoir abondant et ancien, à l'échelle de plusieurs siècles. La fixation du calendrier par l'écriture témoignerait de la dégradation de l'enseignement druidique après la conquête romaine, tout en manifestant encore l'étendue de ce savoir.

Selon le mathématicien Pierre Verdier, la compétence requise pour l'observation des astres - il est possible de prévoir toutes les éclipses durant cette période - et le degré de technicité placent les auteurs de ce calendrier au niveau des Babyloniens, et de leur comput si élaboré. Les efforts déployés pour mesurer d'aussi longues périodes manifestent chez les Gaulois la volonté de se placer dans le temps des dieux, au-delà de la trop brève vie humaine.

Anne Logeay

Le calendrier grégorien

L e 13 mai 1572, Ugo Buoncompagni (1502-1585), ancien professeur de droit de Bologne, devient pape sous le nom de Grégoire XIII. C'est sous son pontificat que l'on adopte un nouveau calendrier, aujourd'hui en usage dans tous les pays du monde, le calendrier grégorien. Avant lui, et pendant plus de seize siècles, la civilisation occidentale utilisait le calendrier julien, du nom de l'empereur Jules César qui l'établit en 45 av. J.-C. Pourquoi le pape Grégoire XIII décide-t-il, en 1576, de réunir une docte assemblée d'astronomes, de mathématiciens et de prêtres afin de réformer le calendrier julien ? Tout simplement parce que ce calendrier ne donne plus entière satisfaction : le décalage entre les deux calculs de référence, celui de l'année julienne et celui de l'année tropique, se creuse.

En 45 av. J.-C., la durée de l'année tropique, obtenue en observant l'intervalle moyen entre deux passages consécutifs du soleil à l'équinoxe de printemps, est approximativement de 365,2432 jours - soit 11 minutes et 4 secondes de moins que l'année julienne. Cette infime différence finit par représenter au fils des années non plus des minutes, mais des jours. Pour y remédier, le calendrier julien prévoit d'ajouter un jour supplémentaire à intervalles réguliers - tous les 4 ans - mais, au XVIe siècle, cela ne suffit plus. Entre 325, année où le concile de Nicée fixe la date de l'équinoxe de printemps au 21 mars, et l'année 1576, le décalage atteint 11 jours. Ainsi, sous Grégoire XIII, l'équinoxe de printemps est passé au 11 mars. Cela décale d'autant la date de Pâques, la plus importante du calendrier chrétien, qui, elle, continue d'être calculée à partir de la date théorique du 21 mars. Pâques doit être célébrée le premier dimanche après la pleine lune qui suit l'équinoxe de printemps. Réformer le calendrier et maîtriser l'équinoxe font l'objet de nombreuses tentatives au cours des siècles, mais toutes échouent.

Le véritable père du calendrier dit grégorien se nomme Luigi Lilio. Il est professeur de médecine à l'université de Pérouse. C'est ce projet que le pape et ses conseillers, dont le célèbre astronome jésuite Christoph Clavius, adoptent en 1582. Luigi préconise la suppression de dix jours du calendrier. Si le calcul de la date de Pâques ne lui pose pas trop de problèmes, la mise au point d'un système de compensation permettant d'être au plus près de l'année tropique, requiert l'essentiel de ses efforts. Dix ans de travail !

Ses calculs le conduisent à proposer l'addition de 97 jours tous les 400 ans au lieu de 100 avec le calendrier julien. La différence est faible, mais d'importance. Elle rapproche l'année calendaire de l'année tropique en lui attribuant une durée moyenne de 365,2425 jours. L'intercalation des jours supplémentaires à intervalles pertinents permet de maîtriser parfaitement la date d'équinoxe. Aucun jour ne sera perdu sur le soleil avant 2 000 ans. Convaincue de la nécessité d'agir, la commission pontificale décrète que l'année 1582 sera amputée de 10 jours. La bulle Inter Gravissimas du 24 février 1582 ordonne aux chrétiens d'Europe d'adopter, à compter du 15 octobre 1582, le nouveau calendrier. « Nous prescrivons et ordonnons, en ce qui concerne le mois d'octobre 1582, que 10 jours allant du 3 nones (5 octobre) au jour précédent les ides (14 octobre) inclus soient supprimés. » Toutefois, la succession normale des jours dans la semaine est respectée. Au jeudi 4 succède le vendredi 15 octobre. Clavius explique : « On a choisi octobre parce que c'est le mois qui compte le moins de fêtes religieuses, les 10 jours perdus perturberaient moins l'Eglise. »

Cette décision de maintenir l'équinoxe au 21 mars, date fixée par les Pères du concile de Nicée, et de l'y stabiliser, permet de replacer le jour de Pâques au printemps. La bulle menace d'excommunication tous ceux qui n'adopteront pas le nouveau calendrier. Elle déchaîne une tempête de protestations venues d'horizons différents. En ce siècle de guerres de religion, le pape Grégoire est un impitoyable défenseur de la Contre-Réforme. Ce mouvement est la réponse virulente de l'Eglise catholique confrontée aux progrès du protestantisme. Au lendemain de la Saint-Barthélemy en 1572, le pape avait célébré le bain de sang en faisant frapper une médaille commémorative du catholicisme triomphant. Autant dire que les pays protestants, voyant dans ce calendrier une manoeuvre catholique, s'en défient et le rejettent.

Les principaux savants du XVIe siècle, eux aussi, protestent. Tous reprochent au calendrier ses approximations astronomiques. C'est le cas du mathématicien français François Vièle, le père de l'algèbre moderne. Mais aussi de Michael Maestlin, le professeur de Johannes Kepler, l'un des premiers à avoir épousé ouvertement les thèses révolutionnaires du Polonais Copernic. C'est encore celui de l'Italien Jules César Scaliger, érudit dont le savoir fait autorité. Ces deux derniers pensent que le nouveau calendrier n'est pas un bon moyen pour déterminer la date de Pâques. Clavius est chargé par Clément VIII, devenu pape en 1592, d'expliquer au monde chrétien le nouveau calendrier. Il en résulte un énorme ouvrage de synthèse, l'Explicatio, publié en 1603. Les travaux de Clavius, son combat inlassable en faveur du calendrier lui valent une place d'honneur dans l'histoire des sciences. Le plus grand des cratères de la Lune porte son nom.

L'application du nouveau calendrier varie selon les pays. En Occident, les régions catholiques d'Allemagne l'adoptent dès 1583, les régions protestantes entre 1615 et 1700 ; une partie des Pays-Bas, la Norvège, le Danemark en 1700 ; l'Angleterre et ses colonies, notamment américaines, en 1752 ; d'autres pays attendent le XXe siècle : la Grèce en 1916, les pays baltes et la Russie en 1918.

Françoise Labalette

Comprendre

Année solaire ou tropique


Intervalle de temps qui s'écoule entre deux passages successifs du soleil à l'équinoxe de printemps. En 2000, la durée de l'année tropique était de 365,242 190 517 jours.


Année calendaire


Intervalle de temps défini dans le cadre d'un calendrier, égal à un nombre entier de jours, plus ou moins proche de l'année tropique.

Calendrier julien


Soit 365 jours divisés en 12 mois et un jour intercalaire supplémentaire tous les 4 ans (année bissextile). Dans ce calendrier, on observe un décalage de 8 jours tous les millénaires.

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt




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